Le serpent est un entrepreneur comme un autre

Aujourd’hui, je t’invite à découvrir l’histoire du Serpent qui voulait suivre sa Joie.

Il était une fois, un Serpent tout petit qui grandissait, en sûreté, au sein de son nid, en compagnie de ses frères et soeurs. Le nid était douillet, chaud et humide, la nourriture facile à trouver. 

Un matin, Petit-Serpent s’aperçut qu’une drôle de transformation était arrivée : sa peau avait terni, il s’y sentait à l’étroit et fait encore plus étrange : il n’y voyait presque plus rien ! Inquiet, il s’était frotté contre un rocher et avait réussi à détacher cette peau blanchâtre de son corps au prix d’efforts éreintants.
Sa première mue.
C’était le signe qu’il attendait : il était l’heure de quitter le repaire familier.

Prenant son courage à deux crochets, se sentant confiant dans ses nouvelles écailles plus résistantes et son corps tonique, il se faufila à travers les hautes herbes.
Au fil des jours, il améliora sa technique de chasse, sa rapidité, le silence de ses déplacements.
Il apprit à se fier à ses sens, à trouver les meilleures places pour se réchauffer en sécurité sur un rocher dénudé, à s’enfoncer toujours plus loin au coeur de la forêt qui l’abritait. 
Il repéra les cachettes de ses proies, les caractéristiques de leurs traces, de leurs odeurs, les vibrations qu’elles émettaient lorsqu’elles se déplaçaient. Il devenait de plus en plus efficace dans ses parties de chasse.

Puis un jour, il se sentit de nouveau à l’étroit. Sa peau se mit à durcir et à l’enserrer, sa vue se ternit, il se sentit déboussolé, en danger…
Une nouvelle mue était en train de se produire : il se replia dans son terrier pour se protéger pendant cette période de transformation qui le rendait vulnérable. 

Quand il sentit que son ancienne peau était prête à être abandonnée, il se mit à frotter ses lèvres puis son corps pour la faire glisser.
Que c’était bon de sentir de nouveau l’air frais sur ses écailles toutes neuves, sur son corps grandi…
Que c’était bon de retrouver la clarté de la vue, la liberté de mouvement, la précision de ses perceptions. 

Il déroulait ses anneaux les uns après les autres, libérant son corps des vestiges de son ancien Lui, quand il sentit une résistance. Il avait beau ondoyer dans tous les sens, racler sa peau contre la roche, rien n’y faisait. Ses anciennes écailles restaient désespérément accrochées à son corps. Pendant 3 jours et 3 nuits, il s’agita en tous sens, en vain. 
Au matin du 4ème jour, épuisé et défait, il sortit de son terrier, traînant derrière lui sa vieille peau racornie. 

En s’approchant de la rivière auprès de laquelle il aimait se reposer, il croisa le chemin d’une Serpente. Majestueuse, aux anneaux étincelants sous la lumière, elle se dressa devant lui, sa langue pointue frétillante, intimidante. 

– Qui es-tu et que fais-tu sur mon sssemin ?
– Je ne sssuis qu’un ssserpent qui ssserssse un peu de sssaleur…
– Et quel est ce ssserpent qui sssort de ssson terrier sssans avoir fini sssa mue ?
– Je suis au désessspoir… cela fait 3 jours et 3 nuits que j’esssaie de m’en débarrassser et je n’y parviens pas !
– Elle ressste accrochée à tes ansssiennes écailles ?
– Oui ! Et malgré mes efforts, je n’arrive pas à l’en détassser !

La grande Serpente se tût un instant, le fixant de ses pupilles étroites. 
– Tu sssouffres sssertainement du sssyndrome du ssserpenteau !
– Qu’est-ssse-que sss’est que sssa ?
– Il sssurvient quand un ssserpent commenssse à grandir mais que sssa nouvelle taille lui fait peur, car il ne ssse sssent pas près à asssumer sssa nouvelle puisssanssse !

Petit-Serpent-devenu-grand réfléchit un moment.

 – Oui, sssa fait sssensss… Je me sssens plus fort que jamais mais je me demande si je sssuis prêt à vivre dans ssse nouveau corps, sssi long, sssi fort, sssi imposant !
– Pour sssela, il n’y a qu’un remède, siffla la Grande Serpente. Demain, à l’heure où le sssoleil est à ssson apogée, tu te dressseras au sssommet du Rocher plat. Puis, tu frapperas trois fois le sssol de ta queue, en sssifflant une incantasssion !  
– Et ensssuite ?
– Les Esssprits des Grands Ssserpents t’apporteront leur aide. 

Petit-Serpent-devenu-grand remercia la Grande Serpente pour ses conseils pleins de sagesse. 

Le lendemain, il se rendit sur le Rocher plat, à l’heure où le soleil était à son apogée. 
Il se dressa le plus haut possible et se mit à battre sa queue et à siffler, afin d’invoquer l’esprit des Grands Serpents. C’est alors qu’il sentit une vibration se répandre de la pierre jusque dans son corps, une vibration venue du plus profond de la Terre, du plus profond des Ages.
Le soleil se voilà et l’obscurité tomba en quelques instants. Puis il sentit des présences, nombreuses, former un cercle autour de lui. Des sifflements et des bruits de crécelles retentirent. Il sentit l’élan des Grands Serpents l’envahir. 
Il se redressa davantage et se mit à battre de la queue, instinctivement. Un doux son de clochettes retentit et les Grands Serpents assemblés répondirent en faisant vibrer leurs anneaux de plus belle.

Il ne sut combien de temps dura la cérémonie, mais quand les sons s’estompèrent et que la lumière revint, il aperçut derrière lui son ancienne peau gisant à terre. Au-dessus d’elle, battant fièrement l’air, des anneaux luisaient à l’extrémité de sa queue.

Il était surpris, ému d’avoir vécu cette expérience. Ses sens semblaient affûtés, il se sentait plus mûr, plus confiant, plus joyeux. Du haut du Rocher plat qui dominait la forêt, pour la première fois, il eut une autre perspective sur la Vie et comprit qu’il pouvait continuer à chasser les souris autour de son terrier… ou embrasser son destin, dont il pressentait qu’il lui promettait des aventures aussi extatiques que dangereuses… parce qu’à présent, il le savait : un Serpent grandit toute sa vie, et ainsi les mues se succèdent pour révéler, l’une après l’autre, un corps de plus en plus puissant. 
 

Et toi ? As-tu déjà senti ton ancien.ne Toi te coller à la peau, sans arriver à t’en défaire ? Quelle a été l’expérience de vie ou la prise de conscience qui t’a permis de la laisser définitivement derrière toi ?

Avec Amour,
Sofia